LAURENT WOLF
Bornes frontières / dessins
Exposition
du 4 novembre au 2 décembre 2023
Rencontre avec Laurent WOLF à la Société de Lecture
jeudi 23 novembre à 12h, « illusions et vérités des images de La pêche miraculeuse de Konrad Witz à nos jours » Inscription et information sur www.societe-de-lecture.ch
Rencontre et visite commentée de l ‘exposition avec Laurent Wolf
à la Galerie LIGNE treize , samedi 25 novembre à 14h30 . Entrée libre
J’ai dessiné des bornes.
Quoi de plus intrigant et de plus tranquille qu’une borne frontière en temps de paix ? C’est une pierre taillée de mains humaines, parfois incisée d’une ligne, parfois peinte d’armoiries. Il y en a partout dans le monde. J’en ai trouvé dans des déserts ou dans des forêts lointaines, en haut des montagnes et dans les plaines. Il y en a même une, très ancienne, au milieu des eaux du Doubs, près de Biaufond dans les Franches-Montagnes. C’est la Borne des trois Évêchés (ceux de Lausanne, Besançon et Bâle) qui semble flotter sur la rivière.
De ce côté de la borne on est ici. De l’autre côté, on est là-bas. Petit, je m’amusais à sauter à pieds joints par-dessus la ligne invisible quand j’accompagnais la vieille Agnès (elle n’était pas si vieille que ça) à la chasse aux champignons. Agnès m’interdisait de la suivre dans les bois. Ses coins à champignons étaient secrets. Je l’attendais en haut du pâturage et je voyais la borne. Quelques fois, je passais subito dans le canton de Berne (c’était encore le canton de Berne) puis je revenais illico dans le canton de Neuchâtel. J’emportais dans mon esprit la carte et le territoire.
Les bornes dessinent le paysage, les propriétés, les communes, les cantons, les pays. C’est une guirlande en pointillé entre chez moi et chez les autres. Il n’y a pas toujours de douaniers. Il y a toujours un garde imaginaire qui dit : de ce côté-ci, tu es ici, et de ce côté-là, tu es ailleurs. Là où elles tombent en désuétude faute de frontières ou parce que d’autres moyens techniques permettent de les remplacer, certaines associations les protègent, les restaurent et proposent des promenades qui s’appellent «chemins des bornes».
Dans l’histoire de l’art, je n’en ai trouvé qu’une seule, sculptée par Constantin Brancusi en 1945. Il la destinait à un champ de bataille de son pays, la Roumanie. Je ne sais pas si elle a été installée. On peut en voir un exemplaire dans l’atelier qu’il a légué à la France et qui a été reconstitué soi-disant à l’identique devant le Centre Pompidou. La Borne est collée au mur derrière d’immenses baies vitrées, impossible de l’approcher. On y devine un Baiser.
Il faut se méfier des bornes frontières comme de l’eau qui dort. La violence peut s’y déchaîner. Ici c’est chez nous, là-bas c’est chez les autres. J’ai dessiné l’eau qui dort, j’ai dessiné des bornes en temps de paix.
Laurent Wolf